Sur Alain Bernardini
Temps de pause.
Il se trouve, dans l’art comme dans la vie, des suspensions productives. Celles-ci peuvent advenir sous la forme de traumatismes comme sous l’apparence de phénomènes bénéfiques. L’art naît généralement de ces décalages, volontaires ou inattendus, légers ou violents. L’œuvre d’Alain Bernardini, dans son ensemble et son détail, dans ses décisions et dans ses aléas, se fonde sur ce type d’événements infimes autant que déterminants. Le contexte au sein duquel il opère est celui du travail. Depuis ses débuts, du tournant des années 1980-90 quand il scrute minutieusement la vie et les habitudes des jardiniers et des usagers d’un parc public de la banlieue parisienne jusqu’aux images les plus récentes de salariés d’usines et d’hôpitaux photographiés sur leur lieu de travail dans des postures ou des expressions paradoxales (debout sur le bureau, suspendu au plafond, yeux écarquillés…). L’environnement, tant naturel qu’architectural, est toujours pris en compte et toutes ces personnes, qui, de fait, sont aussi des personnages, s’inscrivent le plus souvent dans la logique du paysage. En cela l’œuvre d’Alain Bernardini assume la grande tradition de la peinture. Toutefois, point ici de pigments directement posés sur la toile ; les médiums qu’utilise l’artiste sont de toutes les sortes : l’écriture, la sculpture, l’objet ready made, la photographie, la vidéo, le dessin, la performance, la lecture, l’installation. Car ce qui compte, c’est moins le médium lui-même, malgré le soin tout moderniste avec lequel il l’utilise, que son aptitude à signifier le plus justement possible ce phénomène de la pause comme occurrence du décalage et de la suspension. C’est la manière très singulière avec laquelle Bernardini appréhende le réel en le soumettant à une légère secousse, comme une sorte de saisissement. Décaler les représentations classiques (et celles du travail ont leurs lois qu’il ne fait pas beau contester) conduit à la déconstruction de valeurs un peu vite admises. Il ne s’agit pas à proprement parler d’art engagé dans le sens qu’on donnait jadis à ce terme, mais de la mise à nu d’un réel comme surpris dans des postures incongrues. C’est au bout du compte assez subversif et dérangeant, et plus encore quand c’est construit avec cette rigueur formelle, spécificité d’un art qui ne s’en laisse conter ni par la sociologie ni par la complaisante séduction des apparences.
Jean-Marc Huitorel
Commissaire indépendant d'exposition et critique d'art.
Mes compétences :
Enseignement
Photographie
Art contemporain
Pas de formation renseignée