Depuis octobre 1980, je me dévoue à ceux de mes semblables qui font appel à mes services. Mon histoire est identique à celle de bien de mes confrères avocats, même si chacun de nous rencontre quotidiennement des individus différents. C’est ce qui fait le charme de notre profession car aucune journée ne ressemble à la précédente. Hier, aujourd’hui et demain ont été, sont et seront passionnants.
De nos jours, c’est en général à l’adolescence que l’on construit son avenir, mais pour ma part, ce fut beaucoup plus tard. Rien ne me prédisposait à exercer la profession d’avocat. À dix ans, je me souviens que je voulais être médecin, puis vétérinaire.
Pendant des années, j’avais repoussé l’instant d’aborder le sujet de ma vie professionnelle future, mais les études au lycée terminées, le moment était venu de faire le choix de mon orientation. Mon père me dit : « André, fais du droit, ça pourra toujours te servir ». De mes études à la faculté de droit je retiendrai l’intense émotion ressentie en entrant dans le grand amphithéâtre d’Assas Paris II, à la fin du mois d’octobre 1967. C’est un endroit si grand et si beau, qui me changeait énormément des salles de classe au lycée.
La réussite de mes études juridiques fut facilitée par des circonstances favorables : les événements de mai 1968 bouleversèrent l’année universitaire : les examens prévus en juin furent reportés en septembre, de façon allégée puisqu’ils ne portaient plus que sur les matières obligatoires. Je fus déclaré admissible avec la mention assez bien, ce qui laisse à penser que je serais passé, sans nul doute, en seconde année. Cette année-là, d’autres étudiants furent dispensés d’examens et admis d’office en deuxième année comme les étudiants en Histoire à la Sorbonne. Après avoir réussi ma maîtrise en droit en juin 1971, j’effectuais mon service militaire puis un an plus tard, entrais dans la vie active dans une profession sans rapport avec mes études.
En novembre 1977, j’obtins le Certificat d’Aptitudes à la Profession d’Avocat (C.A.P.A). J’achetais alors une robe qui ne me servit que trois ans plus tard, car lorsque je rencontrais des avocats, c’était pour m’entendre dire : « Jeune homme, vous voulez entrer dans la profession. Avez-vous une fortune personnelle ? ». Ce n’est qu’en octobre 1980 que je prêtais serment après avoir trouvé une collaboration. Dix jours avant, je m’étais rendu chez celui qui allait devenir mon premier patron de stage. Je fus accueilli dans le salon d’attente de son cabinet en même temps qu’une dizaine d’autres candidats. Le patron désirait engager un collaborateur de première année. Il nous interrogea très gentiment à tour de rôle, puis nous demanda notre curriculum vitae. Je fus choisi, non sur mes compétences, mais en raison de la proximité de mon domicile avec son cabinet.
Le formalisme de la prestation de serment devant la première chambre de la cour d’appel de Paris reste également un grand souvenir. Je deviens ce jour là membre de l’Ordre des avocats du Barreau de Paris. Un photographe, présent à l’événement, fixe sur la pellicule argentique de son appareil photo un jeune homme à la figure ronde, aux cheveux permanentés, levant timidement la main droite.
Vient ensuite le temps des découvertes. L’angoisse aidant, j’ai fondu de six kilos lors de mon premier mois d’avocat stagiaire ; je n’ai pas retrouvé depuis de meilleur régime amaigrissant. Dans le vaste et majestueux palais de justice de Paris, je ne compte plus les fois où je me suis perdu, visitant parfois les dépendances d’une chambre de la cour d’appel de Paris, alors que je cherchais celles de la même chambre du tribunal de grande instance. J’arrivais haletant devant un greffier compatissant :
– Bonjour, monsieur le greffier. Je suis bien au greffe de la septième chambre du tribunal ?
– Non, maître, vous êtes ici à la septième chambre de la cour…
J’avais beaucoup appris lors de mes trois années de stage.