Mille neuf cent quatre-vingt-seize, j’ai huit ans, je suis un petit garçon plein de rêves, avec le regard toujours tourné vers le ciel dans l’espoir de pouvoir apercevoir cette fameuse ligne blanche que tracent les avions.
Depuis ma tendre enfance, mon père me ramène de ses nombreux voyages d’affaires de petits avions avec lesquels je ne cesse de jouer. J’enfile une veste d’un de ces costumes noirs, me prenant ainsi pour un pilote d’avion. Grâce aux nombreux miles qu’il accumule, j’ai pu réaliser mon rêve. Le petit garçon que je suis va pouvoir regarder la piste de depuis un hublot d’un avion Air France sur un vol Bordeaux Mérignac-Orly. C’est le début de soixante-dix vols avec la compagnie nationale.
En rentrant dans la passerelle, j’ai le cœur qui palpite et des frissons dans le ventre; je suis à la fois tout excité et impressionné, sûrement ce que ressent un jeune co-pilote qui effectue son premier vol. Je suis enfin dans mon univers, je touche à mon rêve. Je m’assois dans le fauteuil et me pose des millions de questions sur les avions. Les hôtesses de l’air et les stewards s’activent, fermant les coffres à bagages et s’assurant que les passagers sont attachés. Je suis fasciné par leur professionnalisme.
Quelques secondes plus tard, l’avion bouge enfin, les battements de mon cœur s’accélèrent. L’A320 longe la piste vingt-trois de l’aéroport de Bordeaux. Le commandant de bord fait une annonce : «Mesdames, Messieurs, préparez-vous pour le décollage». Cette fameuse phrase me fait réaliser que je vais aujourd'hui concrétiser mon rêve d’enfance grâce à la compagnie qui me procure tant d’émotions. Le bruit des réacteurs s’amplifie, l’avion est en accélération, nous nous envolons.
Une fois la montée terminée, le personnel navigant reprend du service avec les trolleys pour servir à boire et à manger aux passagers. L’hôtesse de l’air me parle à plusieurs reprises mais je ne réponds pas, je suis dans mes pensées, le regard perdu dans cet océan de nuages qui se dresse derrière le hublot. Je suis émerveillé comme si j’étais devant une œuvre d’art. Je finis par lui répondre. Voyant mon air ébahi, elle sourit et me demande si un petit tour dans le cockpit me ferait plaisir. Je n’attends pas longtemps pour lui répondre que oui.
Je remonte l’allée en lui tenant la main fermement, menant au plus bel endroit du monde à mes yeux. En entrant dans le cockpit, je pense à la célèbre phrase de la publicité d’Air France qui passe à ce moment-là : «Faire du ciel le plus bel endroit de la terre». Je suis aux anges. Les pilotes sont attentionnés à mon égard. Ils me fascinent, je suis en admiration. Ils me disent : « Fais en ton métier petit». Le petit garçon entré dans l’avion il y a quelques minutes, est devenu à présent sage et sans voix, observateur.