Mon premier emploi de jeune infirmière a été en 1981, dans un hôpital de cancérologie. J’ai vite compris que ma place ne serait pas là, mais dans la prévention. Alors, j’ai suivie une formation novatrice en santé publique: il n’y avait pas de cours traditionnels ; tous les enseignants avaient aussi des responsabilités dans des centres de santé ; nous discutions autour d’une table, où les connaissances théoriques étaient mises à notre service, pour nous permettre de mieux comprendre la réalité des services de santé où nous étions tous engagés.
A partir de 1983, j’ai travaillé auprès des familles paysannes selon une approche large de la santé, sur les déterminants de celle-ci. Même en lisant beaucoup Paulo Freire (pédagogue auteur notamment de « Pédagogie des opprimés ») je ne parvenais pas à ce que ces familles ne se rendent pas dépendantes des solutions apportées par les professionnels de l’état. Quelques années plus tard, j’ai mis en œuvre une recherche de Master portant sur la difficulté à travailler l’autonomisation de la pensée et des actions des ces familles. Et ce que j’ai pu noter, c’est que les vulgarisateurs reproduisaient avec les paysans l’autoritarisme qu’ils avaient appris dans leurs relations familiales, scolaires, religieuses... Même si « démocratiser » était à la mode, qu’est ce que ça voulait vraiment dire? L’essentiel n’est pas là où nous voulons arriver, c’est le chemin de partage de la parole, des connaissances, des désirs… c'est-à-dire, le partage du pouvoir. C’est comme ça que nous pouvons construire, avec les autres, leur autonomie.
Par la suite, j’ai poursuivi mes recherches à travers un Doctorat en Santé Mentale avec un directeur de thèse anthropologue. L’important était le rôle majeur joué par les émotions dans les rapports entre professionnels, entre soignants et soignés, notamment en ce qui concerne le processus de « santé-maladie ». A partir de 2001 j’ai travaillé dans l’enseignement supérieur pour former ce « nouveau professionnel », dont on avait besoin. Il fallait penser santé avant de penser maladie. Il fallait se rendre compte qu’il n’y a pas de limite ni d’opposition entre maladie et santé. Nous sommes tous porteurs d’une certaine quantité de santé et d’une certaine quantité de maladie…
Je suis arrivée en France en 2006. En tant que citoyenne, j’ai eu du mal à trouver la « porte d’entrée » du système de santé. Professionnellement, ce fut un vrai bonheur de repérer l’Institut Renaudot et pouvoir partager des réflexions sur les pratiques de santé communautaire. Le bonheur suivant a été de connaître le volet santé de la Politique de la Ville. Il me semblait évident que l’Atelier Santé Ville était un cadre privilégié pour mettre en place une démarche locale de santé basée à la fois sur la Déclaration d’Alma Ata sur les soins de santé primaires et sur la Charte d’Ottawa de promotion de la santé. Tout y était.
Ainsi, depuis 2008 je m’épanouis à travailler en cohérence avec mes convictions et compétences en matière de santé : la coordination d’un Atelier Santé Ville en tant que Chef de projet santé. En m'appuyant sur les huit repères du Secrétariat Européen des Pratiques de Santé Communautaire j’accompagne la ville de Grigny (91) à mettre en place sa démarche santé. Même si la souffrance psychique était la thématique prioritaire, il ne conviendrait pas, d’emblée, s’en occuper collectivement. D’autres programmes de santé ont vu le jour avant la santé mentale : l’accès aux droits de santé (2008), la santé buccodentaire (2009), la nutrition santé (2010), la vaccination (2013). C’est dans une dynamique locale vertueuse que le Contrat Local de Santé a été élaboré (2014), en priorisant la mise en place d’un Conseil Local de Santé Mentale (CLSM). Ce pourquoi j’ai suivi en 2015 le DIU « Santé mentale dans la communauté », dont le mémoire est en ligne.
Mon souhait depuis ? Rencontrer d’autres acteurs-territoires-institutions voulant mettre en place des projets de santé selon cette nouvelle approche.